Je n’ai jamais attendu rien d’autre de Patrick Huard qu’il me fasse rire. Je vous aurais abruptement envoyé promener, m’eussiez-vous dit qu’éventuellement il me ferait pleurer. Pourtant, c’est arrivé.
Bon, ce n’est pas vraiment Huard qui en est la cause, mais la représentation de l’amour paternel qu’ont mis en scène Ken Scott et Martin Petit. Enfin, la chose peut maintenant exister, on l’a vue au cinéma.
Attentif, je la voyais, au fil des années, se dessiner, éclore et se manifester. Dans le parc, ce mec aux épaules bodybuildées et tatouées jouant à la poupée avec sa petite puce de trois ou quatre ans. Ce type vaguement androgyne, l’air tout juste sorti d’un rave, qui se pointe au café du matin avec, dans un grand panier, son Jonas qu’il présente fièrement à ses amis déjà attablés. Ces deux hommes cravatés au bar dont je surprends la conversation sur le miroir révélateur de leur progéniture respective. Ce couple masculin, avec un garçon d’environ cinq ans, qui marchent devant moi, l’un suggérant à l’autre d'envoyer des fleurs à son ex-conjointe, et mère de l’enfant, pour la remercier de son assentiment à partager son fils avec eux. Et que dire de cet ami quarantenaire qui enveloppe ses neveux et nièces de cet amour qui ne trouve exutoire dans sa propre paternité.
Attention, je ne laisse nullement entendre que les pères d’avant n’aimaient pas leurs enfants, le sentiment était sans doute aussi vif et réel que possible, mais ils n’osaient ni le mot ni le geste et l’eurent-ils fait, sa répétition aurait été jugée déplacée. La vie était tout autre à l’époque et pour la plupart, sur le plan affectif, ils arrivaient du désert.
Je crois qu’on s’émeut généralement de ce qui ramène à soi-même, à nos valeurs, à nos croyances. Ce film m’a ému probablement parce qu’il me ramène à cet état, cette manière de paternité qui me faisait passer pour un extra-terrestre il y a presque 30 ans. Je ne vous dis pas le front de beu que ça prenait alors pour quitter une réunion au travail en invoquant le motif d’accompagner ma fille chez le médecin. Entendre « mon chum garde les enfants » de la bouche d’une amie me mettait hors de moi... certaines s’en souviennent encore.
Les hommes ont cessé de garder les enfants. Ils sont devenus ces pères qui les aiment ouvertement, légitimement. Je ne peux que m’en émouvoir, m’en réjouir. L’amour du père est fort et profond. Il ne demandait qu’à s’exprimer librement, ces nouvelles générations d’hommes y parviennent. Car, ne nous trompons pas, ce film existe parce que la chose existe déjà dans la réalité.
Pour ma part, j’ai été frappé à deux reprises par la puissance du sentiment immanent d’amour paternel. La première fois, quand il a commencé à me manquer après le décès de mon père. La seconde, le jour où à peine sortie du ventre de sa mère, j’ai posé les mains sur ma fille. Moment d’extase suprême, j’ai senti intuitivement que cet amour m’apporterait la chance de joies intenses, l’accès au pur bonheur. Moment de révélation brutale aussi, que ces jours bienheureux se paieraient d’inquiétude et d’angoisse, de ces instants qui tordent le coeur. Plus étrange encore, j’eus subitement la vision effrayante que je n’hésiterais pas à mourir ou à tuer pour en protéger la source. Après tout ce temps, j’en suis encore troublé.
Cependant, je ne me trompais pas, les moments de bonheur et de joie ont été et sont toujours au rendez-vous, les instants d’inquiétude aussi, somme toute un bien faible prix pour cette paternité qui demeure mon bien le plus précieux.
Quant au film, 533 enfants, c’est ridicule, c’est arrangé avec le gars des vues... mais quelle jolie métaphore de la possible grandeur d’âme de l’homme. Ne serait-ce que pour ça, voyez-le.
On peut également être émue devant ces pères que l'on aurait souhaité avoir. On peut, parfois, pleurer un peu sur soi.
RépondreSupprimer