Un vrai roman – Mémoires
Philippe Sollers
Éditions Plon
349 pages – 2008
J'ignore encore si ce livre m'a plu. Il m'a fasciné cependant. Au point où je l'ai lu, et relu à peine terminé. Ma première impression toutefois demeure. Ce type, fier de sa marginalité, a tartiné 350 pages pour expliquer en quoi il aurait dû être « mainstream ». Il résume pourtant, lui-même, tout son drame en ces quelques mots : « Je raconte, personne n’écoute. »
On dit de Sollers qu'il est plus connu pour son image médiatique, qui souligne son goût pour le jeu et la provocation, que pour son œuvre proprement dite qui reste peu lue et plutôt méconnue. Il aspirait au statut d’éminent philosophe, mais on ne le reconnaît même pas comme un grand littérateur. Si tout son livre prétend à dire comme il s’en fout, ses mots brillamment ciselés à la hache hurlent le contraire. Cette ode à son importance intellectuelle ne révèle guère qu’une immense soif de reconnaissance. Car s’il a vraiment défendu avec ardeur, à travers la revue Tel quel qu'il a fondée au début des années 60, plusieurs auteurs et penseurs méconnus ou controversés (Bataille, Derrida, Foucault, Barthes), sa propre prose comme sa pensée n'ont jamais obtenu le retentissement qu’il souhaitait. Pourtant, ce mec sait écrire, houla ! Du grand art, rien de moins. D’ailleurs, paraphrasant Stendhal, il prédit qu’on le lira davantage dans le futur. Il compte sur la mort pour enfin jouir de la réputation qu’il estime mériter. Il prétend son écriture destinée à « certains morts très vivants » et à certains « pas encore vivants ». Il tient même impeccablement, dit-il, « des archives qui lui assureront cette reconnaissance posthume ».
Dans ce bouquin, il amplifie son très relatif succès littéraire en s’accrochant à toute analyse positive à son égard. Il jette ainsi, à tout vent, plus d'une centaine de noms tirés du Gotha européen de l'esprit et de la plume. Certains parce qu'ils l'ont encensé ou qu'il les estime autrement; d’autres parce qu'ils l’ont ignoré ou décrié. Il leur assène alors un jugement final et sans appel : petits et indignes. En effet, à l’en croire, il n’y a que peu d'âmes vivant en Hexagone qui ne l’aient détesté, honni, contesté, vilipendé, moqué, rabaissé, ridiculisé. Seulement, le combat auquel il réfère s'est déroulé dans une arène tellement privée, l'intelligentsia parisienne dans toute sa quintessence, que rares en furent les témoins. Néanmoins, chaque mot ou chaque geste y est tout de suite remarqué, apprécié et, si élogieux, accepté comme allant de soi ou, si critique, rejeté impitoyablement ainsi que son auteur, son oeuvre et tous ses descendants. Voilà probablement le but de ce bouquin : rappeler tout ce que la société lui doit et remettre sur la place publique ses exploits héroïques de combattant social et intellectuel. Hum! Si, depuis le temps, personne ne s'en est encore aperçu, ce n'est pas bon signe, à mon avis...
Enfin, contrairement à ce qu’il prétend, écrire ses mémoires ne relève pas du romanesque intégral. Ce besoin de révéler certains de ses secrets, d’expliquer son génie incompris, d’étaler son érudition, de mettre en boîte ses détracteurs, d’éclairer son rôle littéraire, de récuser une image médiatique récoltée par sa propre fatuité à croire qu'il pouvait en contrôler l'usage, de se positionner dans sa galerie personnelle de grands penseurs trahit, à tout le moins, un narcissisme certain. Lui qui dénonce la « peopolisation » de la littérature, de l’art et de la pensée, ne pèche-t-il pas en jetant ainsi sa vie en pâture dans l’espoir d'un peu de reconnaissance ? Son autobiographie, comme ses romans, n'est donc qu'une oeuvre de fiction de plus, celle-ci servant à justifier et illuminer son parcours d’écrivain et d’homme public.
Certains passages de son livre m’ont rappelé la blague de l’égocentrique et de l’ampoule où il suffit d’un seul égocentrique pour changer une ampoule, il la tient alors que le monde tourne autour de lui. Cela dit, je n'ai toujours pas élucidé la fascination que ce bouquin a exercée sur moi. Le narcissisme de l'auteur m'a-t-il reflété le mien ? Son inavouable quête de reconnaissance m'a-t-elle renvoyé à la mienne ? Est-ce son propos ou sa prose qui m'a bousculé ? Pourquoi m'a-t-il sollicité ainsi, pour le meilleur comme pour le pire... ?
Sollers est un grand clown. J'admire par contre sa manière d'écrire. Mais bon Sollers s'aime tellement qu'il s'auto-cite lui-même. Faut le faire. Je trouve tout de même que ce monsieur est un être extrêmement brillant et cultivé et je l'admire à la fois pour ça.
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